Le décret inscription : la vérité si je mens
Ce numéro de Regards économiques analyse le décret qui organise les inscriptions en première année secondaire en Fédération Wallonie-Bruxelles. Le décret inscription requiert que les parents transmettent une liste de maximum dix établissements dans lesquels ils aimeraient inscrire leur enfant, classés dans l’ordre de leurs préférences. En parallèle, le décret fixe les critères qui sont utilisés pour déterminer à quels enfants donner priorité lorsque la demande pour un établissement excède son nombre de places disponibles. L’allocation des places disponibles est réalisée par un algorithme se basant sur les préférences transmises par les parents et les critères de priorité.
Dans la mesure du possible, les élèves souhaiteraient pouvoir s’inscrire dans les établissements qu’ils estiment leur convenir le mieux. Le décret inscription atteint-il cet objectif ? Le rapport 2018 de la Commission Interréseaux des Inscriptions révèle qu’au 11 avril 2018, 91,13% des élèves de la Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB) étaient assurés de disposer d’une place dans « l’établissement de leur première préférence ». A Bruxelles, ils étaient 77,85% dans ce cas. Si ces chiffres paraissent encourageants, il convient cependant de les relativiser car ils mesurent le pourcentage d’élèves pouvant s’inscrire dans l’établissement qu’ils ont classé en haut de leur liste. Mais le décret actuel incite les parents à ne pas classer les écoles dans l’ordre de leurs vraies préférences parce qu’il alloue 80% des places disponibles dans une école sur base des premiers choix et parce que la priorité d’un élève augmente dans un établissement qu’il a bien classé. En classant les écoles de manière stratégique, les élèves peuvent parfois obtenir une meilleure affectation qu’en les classant selon l’ordre de leurs préférences. Dès lors, ces chiffres ne nous disent pas vraiment quelle est la proportion d’élèves qui ont obtenu leur école préférée.
Nous expliquons dans cet article que les comportements stratégiques des parents entraînent une série de désavantages. Le décret complexifie la tâche des parents, il favorise les élèves les mieux informés au détriment des autres, il constitue une source de stress lors de la réalisation du classement et de remords une fois les résultats connus, il peut conduire la direction d’établissement à influencer le classement choisi par les parents, il peut générer des situations où des échanges d’établissement permettraient aux élèves d’améliorer leur situation, il ne garantit pas à un élève une place dans une école dans laquelle il a une priorité plus élevée qu’un autre élève pouvant s’y inscrire et il favorise les élèves qui ont des options externes au détriment de ceux qui n’en ont pas. Par contre, il peut induire une allocation des élèves telle que ceux qui ont une préférence forte pour un établissement prisé peuvent s’y inscrire parce qu’ils prennent le risque de classer cette école en première position, alors que d’autres optent pour des stratégies sûres.
Quelle est l’ampleur de ces comportements stratégiques et surtout quels sont leurs effets ? La réponse à ces questions dépend notamment des tensions entre l’offre et la demande dans les établissements ciblés par les élèves. S’ils avaient la garantie de pouvoir s’inscrire dans une école qu’ils apprécient, même si cette école n’est pas celle qu’ils préfèrent, le décret inscription et les classements stratégiques qu’il induit ne poseraient pas de problèmes. A l’inverse, lorsque tous les établissements dans lesquels des parents souhaiteraient inscrire leur enfant sont fortement demandés, la position de chaque école dans le classement est cruciale. En effet, des élèves peuvent dans ce cas se retrouver sans établissement parce qu’ils ont classé les écoles d’une manière plutôt que d’une autre.
Les classements stratégiques sont de ce fait déterminants dans les zones densément peuplées en regard des places qui y sont disponibles (Nord-Est de Bruxelles) ou pour des parents qui veulent absolument inscrire leurs enfants dans un établissement qui a une bonne réputation.
Gardons cependant en tête que ces difficultés ne sont pas le résultat de l’utilisation d’un algorithme mais proviennent plutôt d’une offre insuffisante en regard de la demande. Si les effets pervers liés aux classements stratégiques étaient jugés trop importants, il y aurait alors lieu de remplacer le décret inscription par une procédure non manipulable. Notons qu’un tel changement n’implique pas de modifier les critères déterminant les priorités attribuées aux élèves. Par contre, comme expliqué dans Maniquet (2009), changer l’algorithme modifiera la performance de la procédure en termes d’efficacité et de respect des priorités fixées par le décret, que ce soit en l’améliorant ou en la détériorant. Le choix d’une autre procédure peut être éclairé par les résultats des nombreuses études scientifiques qui ont proposé et évalué différentes procédures d’inscription centralisées.
On en parle dans la presse...
- RTBF, La Première, Débats Première, 12h30, 08.05.2018 : "Le décret inscription a-t-il échoué?", interview de Gilles Grandjean par Bertrand Henne.
- L'Avenir, page 9, 04.05.2018 : "Inscriptions: les parents, petits malins".
- Le Soir, pages 1-3, 03.05.2018 : "Décret inscription : les parents les plus ingénieux récompensés", "Le décret inscription favorise les parents les mieux informés", interview de Gilles Grandjean par Ann-Charlotte Bersipont.
- LaLibre.be, 03.05.2018 : "Le décret inscription: un casse-tête stratégique pour les parents" (avec Belga).
- RTBF.be, 03.05.2018 : "Décret inscription: des chercheurs plaident pour une procédure centralisée "non manipulable"" (avec Belga).
- DH.be, 03.05.2018 : "Le décret inscription: un casse-tête stratégique pour les parents (étude)" (avec Belga).