Le recensement de la population : un requiem ?
La Politique Scientifique Fédérale a récemment financé (2004-2006) un projet de recherche nommé ATLAS qui a pour but principal l’exploitation des données issues du dernier «recensement» de 2001. A l’heure de la sortie des monographies et atlas, il nous semble important d’insister sur le fait qu’il s’agit des dernières images géo-statistiques complètes de la Belgique. En effet, à l’instar de bien des pays voisins, le recensement exhaustif de la population et des logements sera remplacé en 2011 par d’autres modes de collectes des données : enquêtes, micro-recensements et bases de données administratives. Si ces autres bases de données pourront à terme remplacer certaines statistiques produites par les recensements, de nombreuses réalités statistiques et surtout spatiales seront définitivement perdues et – surtout – ignorées. L’objectif de ce numéro de Regards économiques n’est pas d’en faire un tour exhaustif, mais bien d’illustrer sur base d’un certain nombre d’exemples l’importance du recensement tant pour le scientifique que pour le décideur. Les exemples sont issus des domaines de recherche des trois signataires de cet article, en particulier ceux de l’économie géographique, du transport et de la santé.
A titre d’illustration, voici deux exemples de réalités statistiques où le recensement procure des résultats incomparables dans tous les sens du terme :
- En 2001, le recensement inclut pour la première fois des questions à propos de la santé subjective des habitants, des affections chroniques, des limitations fonctionnelles de longue durée, ainsi que sur le problème des aidants naturels (c’est-à-dire des personnes prestant des soins ou des services à titre bénévole pour des malades ou personnes dépendantes). Grâce à ces données récoltées à un niveau de désagrégation spatial très fin, le recensement a permis des analyses contextuelles de la santé, c’est-à-dire d’étudier des facteurs environnementaux (telle la pollution) ou macro-sociétaux (tels le capital social ou la mixité sociale) qui, au-delà, des caractéristiques des individus, peuvent affecter l’état de santé des individus. Certes de nombreuses études contextuelles sont réalisées avec des données d’enquête (échantillon, sondage), mais leur conception ne permet pas vraiment d’appréhender les effets contextuels car le plan d’échantillonnage de ces enquêtes n’est pas conçu au départ pour une analyse spatiale. Le recensement est ici indispensable.
- Avec la disparition du recensement, on ne disposera plus d’information exhaustive sur les navettes (leur longueur, les modes de transport utilisés, etc.). Les «enquêtes de mobilité» peuvent compléter de façon très intéressante les recensements, mais elles ne les remplaceront jamais. En supprimant le recensement, on se prive définitivement en matière de déplacements d’une vision spatiale complète des différences locales. Or, nous savons que la situation est bien plus complexe qu’une simple «opposition Flandre-Wallonie» : certaines communes flamandes ont un profil statistique proche de communes wallonnes, et inversement ! La réalité statistique belge se décline en plus de «3 moyennes régionales»; les disparités observées à l’échelle méso-géographique (communes) peuvent aussi être nuancées à l’échelle micro-géographique (quartiers et secteurs statistiques) : telle est la richesse de l’analyse géographique multi-échelle, qui n’est possible qu’avec des données telles que celles issues d’un recensement. La suppression programmée du recensement décennal va ainsi nous priver d’un outil d’observation et de décision capital, en tous cas en matière de navettes (aucune autre banque de donnée ne peut remplacer le recensement), mais également dans d’autres domaines tels les logements ou la satisfaction des ménages.