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Focus 32 - Octobre 2024

Le "réarmement démographique" et l’égalité des sexes

En janvier dernier, le Président français Emmanuel Macron a parlé de "réarmement démographique" lors d'une intervention télévisée. Son discours s'est inscrit dans le contexte des défis démographiques en Europe, soulignant le désir de rajeunir et de stabiliser la taille de la population par le biais d'une série de politiques pro-natalistes. Laissant de côté le parallèle discutable avec l'importance stratégique du réarmement militaire, son discours souligne la volonté de mettre en oeuvre des mesures pour contrer le déclin démographique.


Qu'est-ce qui est "trop bas" ?

Le taux de fécondité est actuellement de 1,83 enfants par femme en France. En Belgique, il est d'environ 1,60 enfants par femme, tandis que, en 2010, il était encore de 1,86 enfants par femme. La réduction récente est surtout dû à un effet ‘calendrier’ : les femmes retardent toujours plus la maternité ce qui réduit le taux de fécondité annuel. En moyenne, l’âge à la première maternité approche maintenant 30 ans. En outre, le Bureau fédéral du Plan vient de réviser à la baisse ses prévisions de fécondité, supposant maintenant que le niveau de 1,60 enfants prévaudra jusqu’en 2070. Le Bureau voit les raisons suivantes pour le maintien de ce niveau bas : les difficultés à combiner vie professionnelle et familiale, l’augmentation des incertitudes et insécurités aux niveaux individuel et mondial, l’instabilité au niveau des relations de couple et de la carrière professionnelle et le coût du logement. Mais, ces chiffres de fécondité sont-ils vraiment trop bas ?

Dans les sociétés modernes où le taux de mortalité infantile est faible, 2 enfants par femme sont nécessaires pour maintenir une population stable : les 2 enfants remplaceront leurs parents et garantiront ainsi que la taille de la population reste à peu près la même. Dans l'Antiquité, les populations sont restées stables pendant longtemps, mais dans des conditions différentes : une femme mariée avait 6 à 8 enfants, mais seulement 2 survivaient jusqu'à l'âge adulte. Actuellement, le taux de fécondité mondial n’est pas de 2 enfants par femme, mais légèrement supérieur, autour de 2,2. Il est attendu que le chiffre baisse à 1,8 en 2050 et même à 1,6 enfants par femme en 2100. Cela veut dire qu’en 2050, plus des trois quarts des pays du monde n'auront pas un taux de fécondité suffisamment élevé pour maintenir la taille de la population; cette proportion passera à 97% des pays (198 sur 204) d'ici à 2100 (The Lancet 2024). Pour l'instant, aucun pays n’a trouvé de leviers qui permettent de stabiliser le taux de fécondité à 2 enfants par femme. Cela signifie qu'après une période de croissance démographique rapide, le monde finira par voir la population humaine diminuer au cours des prochains siècles.

Les taux de fécondité actuels en Europe peuvent-ils être considérés comme trop faibles ? Selon les tendances actuelles de la fécondité, les jeunes générations seront moins nombreuses que les anciennes. Cela pose des défis, notamment pour l'organisation des régimes de retraite, mais aussi pour les questions de soins et soutien des plus âgés. Cela crée également des opportunités, si le changement démographique se traduit par un investissement éducatif plus soutenu rendu possible par la baisse du nombre de jeunes, ou une consommation moindre des ressources. À ce jour, le modèle de consommation belge n'est pas durable et réduit les ressources des générations futures – une moindre population serait alors bienvenue. Il devient alors évident que ce qui est considéré comme faible ou trop faible est une question de cadrage. D’un point de vue normatif, la littérature scientifique reste limitée pour savoir si la fécondité des pays développés est trop faible.


Les politiques familiales en tant que politiques natalistes

Depuis le discours martial du Président Macron évoquant un réarmement démographique, les politiques natalistes semblent revenir d’actualité, non seulement dans les régimes autoritaires soucieux d’accroitre leur poids politique, mais aussi dans les démocraties. En contemplant les différentes expériences natalistes de par le monde, on sera surpris par la grande variété des mesures possibles, chacune plus ou moins efficace, chacune plus ou moins liberticide.

Les politiques sociales natalistes les plus douces mettent en oeuvre des mécanismes incitatifs basés sur le fait qu’avoir des enfants coûte de l’argent et du temps. Couvrir une partie de ces coûts par des fonds publics aide les familles avec des enfants, et rend le coût d’un enfant supplémentaire plus supportable. Rien qu’en Belgique, nous avons les allocations familiales, les déductions fiscales pour enfants à charge, la subvention des crèches, les congés parentaux. Rendre ces systèmes plus généreux permettrait-il d’augmenter la fécondité ? Un petit peu, semble répondre la littérature sur le sujet. Ces subsides aident à payer les coûts de plus en plus élevés des enfants mais ils ne semblent pourtant pas relever sensiblement la natalité des pays européens.

Parmi les mesures incitatives, une réforme sociale qui est souvent mise en avant pour accroître la fécondité est celle d’un meilleur système de garde d’enfant. En effet, les pays européens où les crèches et autres systèmes de garde sont plus accessibles ont une natalité plus élevée. La plupart des chercheurs sont d’accord pour dire qu’investir dans les systèmes de garde augmenterait la natalité. Mais se limiter à l’accès et au prix des crèches n’est pas suffisant. Il faut prendre en compte les systèmes de garde durant les activités extra-scolaires, les stages durant les (nombreuses) vacances scolaires, les infrastructures de baby-sitting, et tout type de "care" qui permettrait aux parents de pouvoir travailler à temps plein tout en assurant une prise en charge de qualité.


La Suède : un cas d’école

Jusqu'à présent, les chercheurs et les décideurs politiques ont considéré les pays nordiques, et en particulier la Suède, comme un cas d’école. Pendant longtemps, la Suède a affiché, en comparaison européenne, des taux de fécondité assez élevés, combinés à des niveaux élevés d'égalité entre les sexes. L'État-providence suédois est généreux en matière de congé parental pour les deux parents, mais aussi de services de garde d'enfants, et a donc servi de modèle à d'autres pays européens. Pourtant, ces derniers temps, les taux de fécondité ont chuté en Suède, remettant en question l’efficacité du modèle. On a longtemps pensé que le comportement en matière de fécondité dépendait directement des opportunités permettant de concilier travail et vie de famille, ainsi que d'une répartition équitable des tâches entre hommes et femmes. On supposait donc que les gens voulaient de toute façon avoir des enfants, mais que les conditions structurelles faisaient obstacle à la réalisation de ces intentions. Cependant, des recherches récentes suggèrent que les ménages égalitaires en termes de genre ont des intentions de fécondité plus faibles et ne considèrent pas nécessairement la parentalité comme leur principal objectif dans la vie. Nous observons là un changement de normes face auquel les politiques de natalité montrent leurs limites.


Autres contextes : Taïwan, Israël

Notons que les taux de fécondité peuvent baisser beaucoup plus bas que l'expérience européenne actuelle. À Taïwan, le taux de fécondité est à ce jour de 0,87 enfant par femme. Les décideurs politiques ont proposé des initiatives visant à augmenter les subventions pour les enfants et les services de garde d'enfants. L'urgence perçue motive le gouvernement à prendre des mesures créatives, comme l'organisation de rencontres entre célibataires dans le but de favoriser la reproduction. Le candidat à la présidence Terry Gou a même proposé d'offrir des chats et des chiens aux nouveaux parents pour encourager les naissances, l'élevage d'animaux de compagnie étant un passe-temps de plus en plus populaire à Taïwan. Toutefois, cela ne répond pas au coeur du problème du pays : les niveaux élevés d'inégalité entre hommes et femmes. Les Taïwanaises sont encore prisonnières des idées traditionnelles sur le rôle de la femme en matière de travaux ménagers, de garde d'enfants et de soins à domicile. On attend souvent des femmes qu'elles assument la responsabilité principale de l'éducation des enfants, de sorte qu'elles choisissent de retarder leur mariage ou de ne pas se marier du tout afin de poursuivre leur carrière dans un pays où la procréation se fait encore principalement dans le cadre du mariage.

Israël est un exemple de pays où les taux de fécondité sont relativement élevés. Actuellement, le taux de fécondité du pays est de 3,0 enfants par femme. L'écart entre les taux de fécondité globaux d'Israël et ceux d'autres pays développés peut être attribué à l'environnement socio-économique, culturel et politique du pays. Israël offre des aides à la garde d'enfants et à la fécondité similaires à celles d'autres pays, ainsi que de généreuses subventions publiques pour les techniques de procréation assistée, mais son contexte unique est façonné par une idéologie centrée sur la famille, le rôle du nationalisme juif dans une société religieuse caractérisée par des conflits ethno-nationaux, et un discours qui définit les femmes comme les reproductrices biologiques de la nation.


Nouvelles technologies de reproduction

Aux politiques sociales mentionnées ci-dessus viennent s’ajouter les nouvelles technologies reproductives, plus ou moins subsidiées par l’État. Nous retrouvons ici l’insémination artificielle, la fertilisation in vitro de l’ovule, la cryopréservation, la gestation pour autrui, la gamétogenèse in vitro, etc. Questions éthiques mises à part, ces nouvelles technologies permettraient d’augmenter la fécondité, en particulier celle des couples qui "s’y seraient pris trop tard" par rapport au cycle biologique, conséquence des nombreux prérequis socio-culturels modernes pour commencer une famille (partenaire idéal, travail stable, maison…). La recherche a toutefois montré que l'impact de ces traitements sur les niveaux de fécondité d’un pays est plutôt faible.

Autres pistes

Le sociologue Frédéric Le Play, au 19ème siècle, mettait le point sur la liberté testamentaire comme moyen d’augmenter la fécondité. Sa thèse soutenait que là où les règles d’héritage sont strictes et égalitaires, la natalité serait plus basse que là où les règles d’héritage sont plus libérales. Cette thèse connait récemment un soutien empirique dans un contexte historique ainsi que de développement contemporain. En effet, nous voyons que de nos jours, les ethnies Africaines plus égalitaires en matière d’héritage ont une fécondité plus faible que les ethnies plus libérales. Cela dit, un système d’héritage inégalitaire, par exemple basé sur la primogéniture, n’est plus en ligne avec les valeurs actuelles de nos sociétés.
Dans le catalogue des politiques natalistes possibles, nous avons finalement trouvé dans la presse une étrange solution : le 12 septembre de chaque année depuis 2004, les couples de la région d’Ulyanovsk en Russie ont un jour de congé supplémentaire, "la journée de la communication familiale", ou "le jour de la procréation", avec prière d’essayer de procréer un enfant ce jour. A notre connaissance, l’efficacité d’une telle politique n’a pas été démontrée.


Conclusion

Auparavant, l’écart entre les sexes et la spécialisation des tâches au sein des familles permettaient aux couples d’avoir une famille relativement nombreuse. De nos jours, la relation entre égalité des sexes et fécondité s’est inversée. Les baisses de fécondité sont beaucoup plus importantes dans les sociétés où les questions d'égalité entre les hommes et les femmes sont ignorées. Étant donné la faible efficacité des politiques natalistes, il semble que la meilleure approche pour atteindre des niveaux de fécondité proches du seuil de remplacement soit de soutenir les initiatives visant à promouvoir l'égalité des sexes. Cependant, même avec un niveau d'égalité très avancé, la fécondité pourrait rester inférieure au seuil de remplacement.

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On en parle dans la presse...

  • La Libre, 17.10.2024 : "Pourquoi on fait toujours moins d’enfants en Belgique et en Europe : “Comparé à d’autres projets dans la vie, cela perd un peu d’importance”", article website